L'OEIL DU CHIEN
ROMAN
|
LE NOUVEAU ROMAN DE
ABDERRAHMAN BEGGAR |
Khalwa ou demeure d'ermite au Maroc. Photo: Abderrahman Beggar
|
ISBN: 978-1-937030-41-4 |
Le héros est rentré au Maroc finir ses jours en ermite au pied d’une montagne. Il confesse un crime tout en parlant de Joaquim, un anarchiste catalan emprisonné dans un bagne maghrébin au temps de Vichy. Ce dernier a comme compagnon un chien borgne qui n’hésite pas de se nourrir dans les cimetières...
|
|
'Je peux encore me revoir dans le petit coin, là-bas, où de l’union de deux murs naissait un doigt pointé vers le ciel, une cheminée chapeautée d’un nid de cigogne. Quelques fourmis parcouraient les croûtes de chaux, chargées de miettes qu’elles arrachaient à un bout de pain que le soleil n’avait pas encore complètement desséché. J’étais convaincu que leurs fines pattes traçaient l’alphabet d’une langue secrète, que j’aurais bien aimé rendre mienne. Un moineau sautillait en courtisant une bande de femelles qui, indifférentes à son charme, le bec béant, cherchaient la fraîcheur dans l’ombre qui traçait les limites d’un monde habité de détails qui faisaient le quotidien de la petite école: quelques lambeaux d’une toile d’araignée, un criquet trônant sur une boîte de sardines vide, un petit crapaud apeuré, quelques plumes de corbeau au pied d’un volubilis, la moitié d’une page de journal'.
|
|
‘Abderrahman Beggar dévoile, dans son roman L’œil
du chien, un extraordinaire talent de conteur. Usant de
métaphores audacieuses et belles à couper le souffle qui ne sont
pas sans me rappeler celles d’Andreï Makine dans Le
testament français, il enivre et ensorcelle son lecteur,
restituant par fines touches pointillistes toute l’atmosphère
pesante et immobile d’un petit village perdu des monts de
l’Atlas. La scène hallucinante de la mort du père du narrateur
restera longtemps gravée dans ma mémoire. Abderrahman Beggar
s’affirme avec force comme un romancier visionnaire, dans la
lignée de l’Albert Camus de L’étranger et
du Yachar Kemal de Mémed
le mince. Œuvre envoûtante, L’œil
du chien consacre
sans aucun doute l’envol d’un grand écrivain’. Alain Saint-Saëns Écrivain francais
|
|
‘L’œil du chien est un très beau roman, à la parole imagée et captivante dans une atmosphère méditerranéenne. Abderrahman Beggar sait très bien raconter des histoires, et il profite de l’expression orale au maximum, en un va-et-vient entre le concret et l’abstrait, le quotidien et le rêve, la philosophie et la morale, la liberté et l’emprisonnement. L’œil du chien est une brillante démonstration du pouvoir des mots’. Victor-Laurent
Tremblay,
|
|
‘Roman du silence et de la patience, la bouche ne s'ouvre pas beaucoup, le récit semble se figer dans la stupéfaction, c'est dans l'œil du chien que les paroles se gravent, paroles de ces êtres qui semblent n'avoir rien à dire, paroles de ces terres qui semblent oubliées, de ces terres inutiles, de ces gens inutiles’.
Jean-Luc Raharimanana,
|
|
POSTFACE:
DE LA MYOPIE À LA
LUMIÈRE :
‘Ainsi, dans son
parcours métaphorique,
Roland Barthes,
‘L’œil était dans la tombe et regardait Caïn’, scande Victor Hugo dans ‘La conscience’, poème de La légende des siècles. Le fratricide assassin d’Abel ne peut échapper aux rets de Dieu qui, dans son immanence, le confronte au miroir de sa culpabilité et de la détresse qui en découle et le submerge. ‘Tout est intérieur à tout’, avertit de même Jean-Paul Sartre dans sa Critique de la raison dialectique. Abderrahman Beggar, mentionne le nom de l’auteur existentialiste dans son roman, L’œil du chien et, en une chute finale qui ne laisse point d’interpeller, renvoie son personnage central, un assassin de celui qui pourrait bien être son double, au lieu d’écriture du philosophe français : ‘La voix reprend de la vigueur : ‘Va prendre un café aux Deux Magots, Place Saint-Germain des Prés’’. La métaphore de l’œil, chère à Roland Barthes en un article hommage du critique littéraire à L’histoire de l’œil de Georges Bataille, imprègne le roman d’Abderrahman Beggar, véritable tragédie grecque transposée au Maghreb, où la hamartia hellène de La poétique d’Aristote vient céder la place au mektoub musulman. ‘Sache que tout est dans l’œil […] Je ne suis ni borgne ni aveugle’, déclare le vieil ermite au jeune homme chargé d’écrire un rapport sur lui. Du niveau de vision provient en fait la connaissance ultime, passage obligé vers la mort, étape transitoire dans le cours du temps, ce ‘sourire moqueur destiné aux vivants’, comme le désigne Abderrahman Beggar. Les habitants du village, les Aït’Aaq, ne sont que ‘des taupes aveuglées par la canicule’. Dans leurs yeux si vides ne subsistent que ‘l’obéissance, la peur et le regret’. Symboliquement, la mouette, vision fugitive entrevue par le narrateur à la station de métro Châtelet-Les Halles, ‘se goinfrant d’un panier d’yeux, tous pleins de vie’, les a mangés, comme Minoucha la chatte, nouveau Saturne félin dévorant ses propres enfants, ‘s’est goinfrée de ses petits’. Les éléments naturels jouent un rôle certain dans l’abattement des habitants du village perdu, et d’abord le soleil accablant, cet ‘assassin borgne’ qui rend myope ; or, ‘que serait l’obéissance sans la myopie ?’, s’interroge le vieil homme rebelle et insoumis devant les hommes et leur justice, mais peut-être aussi, malgré ses professions de foi appuyées, devant son Dieu, Allah qui, par le simple mot d’‘Islam’, exige soumission et abandon du croyant. Carlito, le chien borgne, ‘chien affamé mangeur d’homme’ à l’égal du Louison mythique des Indiens Guaranis du Paraguay, n’est-il pas en fait le Cerbère de l’Atlas qui châtie les coupables et les envoie aux Enfers ? Trou noir dans l’immensité cosmique, il est la porte entre deux espaces-temps qui s’ouvre dans le refuge même de l’ermite, la khalwa, ‘petite chambre au milieu du vide’. Et l’œil alors de ‘varier’, selon la terminologie de Roland Barthes: ‘Je regardais le chien et mon œil n’était plus l’organe destiné à des fonctions précises. Mon œil devenait demeure pour le monde entier. Je devenais l’univers’.
Cependant, le chien borgne et forcément ‘sans âge’ n’est qu’une
sentinelle avancée. ‘À chaque génération, son borgne’, nous
affirme Abderrahman Beggar ; prophète dans le désert, il précède
et annonce l’aveugle. Ce Tirésias arabe appelle l’incrédule à
partager sa solitude. Non seulement voit-il par-delà les
ténèbres, mais il sent la présence de la mort dans la maison,
‘sans même dépasser le seuil’ de la porte. Il ne peut, pour
autant, arrêter ce qui est écrit : ‘Le faire devient un
irréductible’, énonce Charles Gervais dans ‘À propos de La
critique de la raison dialectique’. Quand l’homme apprend,
de la bouche même d’un vieil aveugle le sens de ses origines, à
savoir sa bâtardise partagée par le plus grand nombre des
Aït’Aaq, alors devient-il vraiment ‘celui qui a compris’ (aït’aaq
en arabe), comme le corbeau de la légende qui crie : ‘il a
compris’ et qu’Allah transforme pour cela en symbole des
ténèbres. Reprenant les thèmes de la
littérature médiévale occidentale qui associent l’ermite et le
bâtard en les insérant dans un contexte nord-africain,
Abderrahman Beggar fait réparer par l’homme la faute tragique du
père et tuer le nouveau maître, son demi-frère, miroir de
lui-même, scellant ainsi le propre destin du meurtrier : ‘Soudain,
ses yeux se tournèrent vers moi. Ce n’étaient pas ses yeux.
C’étaient les miens. J’en étais sûr. J’ai vu mes propres yeux
habités par la mort’. OUVRAGES CITÉS
- Aristote, Poétique. Traduction Odette Bellevue et Séverine Aufret (Éditions Mille et Une Nuits : Paris, 2006). - Bataille (Georges)/Lord Auch, Histoire de l’œil (René Bonnel Éditeur : Paris, 1928). - Barthes (Roland), ‘La métaphore de l’œil’, Essais critiques (Editions du Seuil : Paris, 1991), pp. 237-244. - Gervais (Charles), ‘Y a-t-il un deuxième Sartre ? À propos de La critique de la raison dialectique’, Revue Philosophique de Louvain, Vol. 67, no. 93 (1969), p. 103. - Hugo (Victor), La légende des siècles, Première Série. Notes par Jean Gaudon (Robert Laffont Éditeur : Paris, 1985), ‘La conscience’. - ‘Islam’, Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Islam. - ‘Mektoub’, Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales : http://www.cnrtl.fr/definition/mektoub. - ‘Mitos del Paraguay’, Wikipedia: http://es.wikipedia.org/wiki/ Mitos_del_Paraguay. - Saïd (Suzanne), La faute tragique (François Maspéro Éditeur : Paris, 1978). - Saint-Saëns (Alain), ‘El bastardo, el ermitaño y el caballero’, in José Antonio Alonso Navarro (Ed.), El caballero Degaré. Traduction du moyen anglais à l’espagnol (Editorial Marben : Asunción, 2015), pp. 5-17. - Sartre (Jean-Paul), La critique de la raison dialectique (Éditions Gallimard : Paris, 1960).
|
|
Abderrahman Beggar vivait à Paris avant de venir s’installer dans l’Ontario au Canada. Il est écrivain et Professeur de Littératures Comparées à l’Université de Wilfrid Laurier. L’œil du chien est son second roman. Le premier, Le chant de Goubi, a été publié à Paris en 2005 aux Éditions L'Harmattan.
|